Faut-il en finir avec les notes ?

par Pierre Merle – le 2 décembre 2014

La notation des élèves est de plus en plus contestée, notamment par les chercheurs. Pierre Merle fait une synthèse des conclusions de ces travaux au moment où les institutions s’emparent de la question et propose des pistes pour renouveler les pratiques d’évaluation des élèves.

Prévue pour la fin de l’année 2014, la Conférence nationale sur l’évaluation des élèves a « pour mission d’élaborer des recommandations sur l’évolution du système d’évaluation des élèves ». Depuis plus d’un demi-siècle, des chercheurs de différentes disciplines ont mené des centaines de recherches utiles aux réflexions sur les pratiques d’évaluation des élèves. Cette contribution présentera d’abord un certain nombre de conclusions scientifiques avérées et proposera des changements souhaitables, eu égard aux résultats de la recherche.

Les recherches sur la notation, menées depuis plusieurs dizaines d’années, aboutissent à au moins cinq résultats consensuels dans la communauté scientifique :

1 – Les notes ne mesurent pas de façon précise les compétences des élèves. Certes, entre le 5/20 et le 15/20, la différence de compétences est souvent considérable. Mais pour la majorité des élèves, notés entre 7 et 13, la différence est faible et, surtout, cette différence varie sensiblement en fonction du correcteur. Toutes les études de multiples corrections (plusieurs correcteurs corrigent les mêmes copies), avec ou sans barème (Aymes, 1979 ; Merle, 2007 ; Suchaut, 2008), aboutissent à ce résultat indiscutable. Il est donc illusoire de considérer que la note constitue un « thermomètre » qu’il faudrait à tout prix préserver pour connaître les compétences d’un élève (« Ce n’est pas une bonne idée de supprimer les notes. C’est absolument indispensable d’avoir des points de repère (…) Casser le thermomètre ne sert absolument à rien », déclare Luc Ferry, ancien ministre, RTL, 9 octobre 2012.). Au contraire, il faut retenir que la note, plus exactement une moyenne trimestrielle ou annuelle, informe les parents de façon imprécise, parfois même inexacte, du niveau d’acquisition de compétences de leurs enfants. L’imprécision de la notation a de multiples origines longuement étudiées. Par exemple, il est bien établi que l’ordre de correction des copies exerce un effet sur les notes elles-mêmes. Après une très bonne copie, le correcteur, par effet de contraste, note plus sévèrement la suivante. Après une très mauvaise copie, l’effet inverse est constaté.

2 – Les recherches sur la notation ont également montré l’existence de biais sociaux de notation. Cette expression compliquée renvoie à l’existence d’erreurs systématiques de notation des professeurs liées, lorsqu’elles sont connues, aux informations extrascolaires relatives aux élèves. Dans leurs pratiques de notation, les professeurs sont influencés, inconsciemment, par le sexe de l’élève, un redoublement éventuel, son âge, son origine sociale, son niveau scolaire, les notes déjà mises à l’élève, le niveau de la classe, de l’établissement… (Noizet et Caverni, 1978 ; Merle, 2007). Depuis plus de quarante ans, toutes les études, tant psychologiques que sociologiques, ont confirmé l’existence de ces biais sociaux de notation autant au collège qu’au lycée, contrôle continu de la classe de terminale compris (Oget, 1999). Le fait que ceux-ci soient généralement peu connus tient à une défaillance des anciens IUFM, à une focalisation sur la pédagogie et la didactique qui accordent habituellement peu d’importance aux pratiques d’évaluation alors même qu’elles constituent un maillon incontournable des processus d’apprentissage.

3 – Dans un certain nombre de discours, la notation aurait pour vertu de favoriser une (saine) émulation, une compétition entre élèves, indispensable à la motivation. Ce discours relève le plus souvent de la preuve par soi : ce qui est vécu personnellement est assimilé à une situation commune. Ce discours d’une note indispensable à la motivation est diffusé par les diplômés, les anciens bons élèves et, plus globalement, ceux qui sont sortis vainqueurs des épreuves scolaires. Les 122 000 sortants sans diplôme du système éducatif en 2011, soit 17 % des jeunes concernés, n’ont pas été stimulés par la suite continue de mauvaises notes recueillies au cours de leur trop brève scolarité. Considérer que la note encourage revient à ne regarder que d’un œil, à être aveugle au gâchis considérable constitué par l’immensité du décrochage précoce propre à l’école française. Au mieux la note encourage les bons élèves, et décourage les autres. En ce sens, elle crée des différences ; elle contribue à l’échec scolaire. Sur cette question, les recherches sont de nouveau convergentes : les mauvaises notes créent une image scolaire de soi négative, favorisent une résignation acquise, un sentiment d’incompétence, et constituent un handicap souvent irréversible dans le processus d’apprentissage. Pour les meilleurs élèves, les effets globaux de la note ne sont pas forcément plus positifs : la compétition scolaire favorise l’individualisme égoïste et des comportements antisociaux (Butera et al., 2011). L’essentiel n’est plus d’apprendre, comprendre, se passionner mais d’être parmi les premiers [1].

4 – Un autre discours favorable à la notation consiste à affirmer que les élèves souhaitent connaître leur niveau scolaire, veulent savoir où ils se situent par rapport aux autres. Cette affirmation, souvent ressassée, est aussi discutable que la précédente. D’abord, les classements réalisés par les notes sont intrinsèquement imprécis (cf. les points 1 et 2). Ensuite, le souhait de connaître son niveau ou son classement est surtout présent chez les meilleurs élèves, ceux qui sont engagés avec succès dans la compétition scolaire. Les autres élèves, ceux qui sont en difficulté, ceux qui décrochent, voire même les moyens-faibles, ne connaissent pas l’exaltation des bien classés mais la crainte, parfois même la honte, des dernières places, cette modalité moderne du bonnet d’âne (Merle, 2012). Cette obsession du classement exerce un effet négatif sur la qualité de vie scolaire des élèves. Dans la recherche Pisa, l’école française est mal placée dans ce domaine (22e sur 25 pays) (OCDE, 2009). L’amour de l’école est également faible en France et l’anxiété de scolaire élevée. Elle concerne les élèves en difficulté mais aussi les meilleurs élèves, trop souvent prisonniers, tout comme leurs parents, par une sorte d’obsession des notes [2]. Pour augmenter ou seulement assurer leurs résultats, même les bons élèves sont parfois amenés à tricher (Guibert et Michaut, 2009). Un système d’évaluation, source de tricherie en raison de la peur de l’échec et/ou de la vénération des premières places, pose manifestement problème pour l’école et, ultérieurement, pour la société tout entière : tricher devient un comportement habituel, normal.

5 – Enfin, un dernier discours affirme que la notation permet d’apprendre. De fait, les professeurs sont souvent confrontés à cette question classique des élèves : « ce travail sera-t-il noté ? » et, en l’absence de note, le travail fourni est souvent réduit, voire inexistant. Déduire de cette situation scolaire ordinaire que la note est nécessaire aux apprentissages revient à confondre la cause et la conséquence. Dans l’école française, l’omniprésence de la note indique à l’élève ce qui est essentiel et ce qui est accessoire, mais les élèves ne travaillent pas pour apprendre, seulement pour obtenir une bonne note ou éviter une mauvaise. Après le contrôle, qu’il soit réussi ou raté, le travail d’oubli fait rapidement son œuvre. Focalisés sur les notes, les élèves s’intéressent moins à la connaissance ; pire, ils s’en détournent. Innombrables sont les leçons apprises par cœur en histoire, mathématiques, grammaire… vingt fois répétées, vingt fois notées et vingt fois oubliées ! Inversement, dans les systèmes éducatifs où les notes sont rares, les élèves apprennent davantage pour d’autres motifs : intérêt, curiosité, passion… Par ailleurs, il faut le rappeler, l’essentiel de nos connaissances et compétences – faire du vélo, nager, parler, être attentif à autrui, cuisiner, bricoler et bien d’autres choses encore – n’ont pas été apprises à l’école, avec des notes, mais de façon diffuse, lors de la socialisation familiale, au contact des amis, des pairs ou dans des associations diverses et variées. Les moteurs de l’apprentissage sont l’intérêt, un projet professionnel, les conseils des autres… non la note [3].

Les contrevérités sur la notation des élèves sont légion. Objectivement, la note pervertit les missions centrales de l’école – éducation et instruction – au profit d’une seule de ses fonctions, la sélection. Or, celle-ci n’a aucune raison d’intervenir avant la fin de la scolarité obligatoire, avant que ne soit assurée, pour chaque élève, la maîtrise d’un socle commun de connaissances et de compétences indispensable à l’intégration sociale et professionnelle. En ce sens, la note et la sélection précoce contribuent à maintenir le système éducatif français tel qu’il est : peu performant, inégal, trop souvent décourageant pour les élèves, les parents et les professeurs. Quels changements sont envisageables ? Sept pistes principales sont présentées.

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