» Le véritable voyage, ce n’est pas de parcourir le désert ou franchir de grandes distances sous-marines, c’est de parvenir en un point exceptionnel où la saveur de l’instant baigne tous les contours de la vie intérieure ».
Antoine de Saint-Exupéry
25 juillet
Il pleut et c’est le plus beau jour de l’été
Le jardin respire en grand nimbé d’une pluie pâle et vaporeuse et soudain sous mes yeux
La palombe née dans le sorbier au début du mois quitte à tire d’ailes le nid
C’est son premier vol
Mon finistère est entre mes chairs lovées et sous la voilure
De mon sein mutilé mon bout du monde est incertain
Mais entre les branches de mes mains côté coeur
Le ciel est pur
Le bonheur creuse ses sillons en moi depuis ma maison
Où je lis les livres intra muros
Où je veille les palombes
Où je voyage
●
Ma tête hors de l’eau hors de prix hors bord
Fuis l’industrie capitale des Grands Tours pendant que toi Femme
Pour ton reflet dans ton miroir ton beau miroir
Tu colonises les terres les airs les eaux les conversations et tous les interstices subjectifs
Rien n’échappe à tes rêves prédateurs qui t’ occupent jusqu’à l’aube
Pourtant ni le dauphin du roman d’Alexandre ni le Grand Duc ni le loup vagabond
Ne te désirent ne t’appellent et comme les orques désespérées
Ma palombe non plus ne t’espère pas
Ton décor de cinéma né de ta science de ton argent et de ton orgueil sera son cimetière
Elle le sait déjà
Tu crois que l’accomplissement de ta destinée est extérieure loin de là loin d’ici
Tu dis
Oser
Sortir de sa zone de confort Partir à la rencontre de l’autre Profiter du présent S’écouter Réveiller la flamme qui est en soi Vivre mille vies à cent pour cent Faire ce qu’on a envie de faire quand on a envie
Tu dis
Suivre son instinct
Ne pas se laisser guider par ses peurs mais par ses rêves
Tu dis
Nous sommes ce que nous voulons être Nous vivons la vie que nous choisissons
Tu dis le voyage dans ton ADN inspiré et inspirant Tu dis we are travel
Le diktat de l’hédonisme et la tyrannie du non conformisme si conforme décline
Ton amour de la vie en superlatifs
En coloriages et gommettes en destinations archétypes
Palmarès de bouts de terres et serpents de mer
Pauvre de toi
Ne vois-tu pas que ton identité contaminée par les clichés fait la course contre la montre contre la mort
Compétition tragique insensée
Ton carpe diem est corrompu et dévoyé
Parce qu’à la fin c’est fini tout pareil
Derrière le masque rhétorique de la liberté
Mensonge des designers ultralibéraux de la pensée There is no alternativ
La litanie des insatisfactions brutes se décline en digital et en spectre d’injonctions
Esprit d’aventure et dépassement de soi
Sur ton écran glacé les montages monétisés racontent de belles histoires
Avec péripéties rebondissements et paysages à couper n’importe quel souffle
Même les guerres et les ségrégations ghettos sont supprimées du panier
Des gentils voyageurs professionnels
Ubérisés hyperconnectés
Qui soumis aux donneurs d’ordre font l’aumône au plus offrant
Placements de produits 4X4 et sacs à dos couleur
Des ex communicants managers commerciaux recyclés en écrivains à bons filons
Donnent à boire et à manger à l’industrie du divertissement et de l’édition feel good
Marketing des bornes
Des kilomètres veloutés de bonheur de méthodes pacifiques et de manuels d’empowerment
Où l’excipient psy-pop frôle le produit intérieur brut pour infuser l’esprit start-up libertarien
L’alchimiste en effet n’est pas loin
Les vainqueurs freelance réalisent leur légende personnelle à coups de followers et de dollars
Et au milieu de cette économie de valets misérables
Leur vie est leur entreprise
Violence de l’effraction
Comment le Népal cuisiné peut-il se défendre contre ces idolâtres des foires de pacotille où le monde se donne en vitrine
Dans cette prison dont tu ne vois pas les barreaux
Ton aventure salariée dissimule ton esclavage épuré raffiné
Car ta liberté Femme
Comme ton voyage de fin d’année
Dépend de Patreon de ta caisse de retraite de ma finance donc de ma force de travail
Ta liberté est translucide
Elle est une illusion
Moi je garde sous les yeux près du coeur
La puissance des esprits visionnaires aussi beaux aussi saisissants et exotiques qu’un paysage sous une autre latitude
Conquis par le chemin intérieur mon esprit ne renonce jamais n’abandonne pas
Ceux qui sont doués pour la joie et sans craindre
La marginalité des voix qui alertent et les dissidences porteuses de l’Histoire
J’affirme mon refus Femme
De ta servitude
Aux lignes tracées du grand bazar aux youtubeurs de bonne moralité aux jougs motorisés fossiles aux coachs de mission de vie croix mystique et développement personnel
Je néglige le consensus bienveillant des marchands du Temple qui pâlit les joues des vivants
Même London Muir et Bouvier se retournent dans leur tombe céleste
Qui un sou dans une poche et un carnet dans l’autre
Sans date de retour sont partis aux confins d’eux-mêmes dans l’éblouissement de la bonne chance et du pain gagné de haute lutte
Ils n’ont jamais cherché la légèreté des photos et des souvenirs
Se vider la tête se changer les idées
Mais le poids de leur existence traînée à bout de bras dans les méandres somptueux de leur inconscient
La trace qu’ils ont laissée était à leur corps défendant leur compagne de route
Ils n’ont pas vu
Ils n’ont pas fait
Ils ont vécu
C’est pourquoi je sabote je nargue et j’affirme
Le voyage ni fin en soi ni fin du voyage
Et ma liberté
Ma liberté ne peut être que l’expression de la quête du Bien suprême
La plus grande part de mon existence
Celle de provoquer les bonnes rencontres et de créer des liens
Et si je cries avec toi Olympe
Dans le silence pétrifiant où se noie la Pensée consumée de toutes parts comme une peau de chagrin
C’est pour dire
Femme réveille toi
Ta perception du cataclysme est aussi aride que les estuaires de l’été
Ton imitation de l’Homme blanc ne t’honore pas elle t’accuse
Alors de grâce n’appelle pas à la revanche sans avoir compris le jeu
Car ta liberté fait trop de bruit elle use elle épuise
Va la chercher plus loin
Au-delà de ses mirages
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Palombe ô ma palombe ma promise
Pour qu’enfin le monde se souvienne de ce jour d’été
Pars
Et au nom des tiens dépose au creux de chaque esprit dépossédé de lui-même
La lumière crue de ta Vérité
Car ta survie en dépend
Ton lointain est en moi
Pour toujours dans ma sève dans mes racines
Fidèle à mes désirs
Je suis à ma place
Quelques références (liste non exhaustive)
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges, 1791
Les communautés en ligne accélèrent l’essor du voyage en solitaire chez les femmes, Joëlle Lagier et Nathalie Montargot, The Conversation, 2021
Kilomètre zéro, Maud Ankaoua, 2023
L’Alchimiste, Paolo Cuelho, 1994
Littérature de voyages (bibliographie disponible pour les étudiants de BTS)
Blogs et chaînes Youtube de voyage (entre autres Moimessouliers.org, Lesmariollestrotters.com, Voyagesetvagabondages.com, Tourdumondiste.com, Mathieutordeur.com)
Être à sa place, Claire Marin, L’Observatoire, 2022