Travailler à soi-même : conception pratique de soi

Cette composition s’inscrit dans la perspective d’un développement de la subjectivité, je vous renvoie donc vers l’article travailler à soi-même. Sont offerts à la lecture les compositions de Gabrielle, Raphaël ainsi que la mienne. N’est présenté sur cette page qu’un résultat d’un travail pratique à soi-même.

  1. La conscience de soi est-elle connaissance de soi ?
  2. Suis-je ce que j’ai conscience d’être ?

Recueil de textes à partir desquels, notamment, la pensée chez Gabrielle et Raphaël se développe, se constitue, travaille à elle-même :

Saint-Augustin, La Trinité (400-420 a.p. J.C.) ;

Platon, Apologie de Socrate ;

Descartes, Méditations métaphysiques (1641), Méditation seconde ;

Descartes, Discours de la méthode (1637), IVème Partie ;

Hobbes, Objections aux Méditations métaphysiques (1641), Troisièmes objections aux Méditations métaphysiques ;

Spinoza, L’Éthique (1677) ;

Hume, Traité de la nature humaine 1739-1740), « De l’identité personnelle » ;

Kant, Critique de la raison pure (1787), « Déduction transcendantale des catégorie » ;

Kant, Critique de la faculté de juger (1790) ;

Maine de Biran, Essai sur les fondements de la psychologie (1812) ;

Comte, Cours de philosophie positive (1830), 1ère leçon ;

Marx et Engels, L’idéologie allemande (1845), p. 77-78 et p. 131 à 133 ;

Nietzsche, La naissance de la tragédie (1872) ;

Nietzsche, Le Gai Savoir (1882) ;

Nietzsche, Fragments Posthumes (1883) ;

Pierre Janet, Les Névroses (1910) ;

Bergson, La Conscience et la Vie (1911) ;

Bergson, L’Énergie spirituelle (1919) ;

Sigmund Freud, Nouvelles Conférences sur la psychanalyse (1932) ;

Russell, Science et religion (1935), p. 97-98 et p.129-130 ;

Husserl, Crise (1935-1936), appendice au §28 ;

Louis Lavelle, Le Mal et la Souffrance (1941) ;

Sartre, L’Être et le Néant (1943) ;

Sartre, Situations I (1947) ;

Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception (1945) ;

Merleau-Ponty, Le primat de la perception et ses conséquences philosophiques (1947) ;

Henry Baruk, Psychoses et névroses (1946) ;

Georges Gusdorf, Traité de l’existence morale (1949) ;

René Le Senne, Traité de morale générale (1961) ;

Kojève, Essai d’une histoire raisonnée de la philosophie païenne (1968) ;

Lucien Goldmann, Marxisme et sciences humaines (1970) ;

Deleuze, Nietzsche et la philosophie (1962) ;

Deleuze, Spinoza Philosophie pratique (1970) ;

À cela s’ajoutent de nombreux textes, passages, extraits de L’Éthique de Spinoza tels que les lettres sur le mal, la lettre LVIII à Schuller, etc., les leçons de Gilles Deleuze sur L’Éthique (Cours entre 1978 et 1981 à l’Université de Vincennes) et la pensée de Nietzsche, et j’en passe…

La conscience de soi est-elle connaissance de soi ?

Par Raphaël, 16 ans, classe de Première

Est-ce que le fait de savoir que nous existons revient à savoir ce que nous sommes, ce que nous supportons ou pas ? La conscience est un concept qui existe depuis très longtemps et qui n’a pas toujours eu la même définition. Aujourd’hui le, le terme signifie dans le langage courant : « déclarer s’être bien rendu compte de ce qu’on a fait au moment où l’on où on l’a fait » ou encore : « agir en connaissance de cause ». Sommes-nous toujours conscient de nous-mêmes et pouvons nous avoir connaissance de nous à tout moment ? Ces deux questions répondent plus généralement à la question suivante: est-ce que la conscience de soi peut-être considérée comme une connaissance de soi ? Dans un premier temps, nous verrons que nous ne connaissons de nous-même que ce que notre état instantané. Dans un deuxième temps, nous verrons que la conscience de soi équivaut à la connaissance d’un groupe et non d’un individu mis en avant. Dans un dernier temps, nous constaterons que la deuxième partie est réfutable par différents auteurs.

La conscience de soi, le fait d’être conscient de soi ne peut se faire que lorsque nous sommes éveillés. Or, la question est très générale. Parlons-nous simplement de la conscience de soi ? Cela englobe-t-il aussi l’inconscient de soi ? Car, lorsque nous ne sommes pas éveillés, lorsque nous ne sommes pas conscients de nous-mêmes, il peut se passer de nombreuses choses dont nous ne pouvons pas avoir connaissance si nous sommes en pleine possession de nous-mêmes : le somnambulisme en est un exemple. Spinoza écrit lui-même que « les somnambules accomplissent durant le sommeil un très grand nombre d’actes qu’ils n’oseraient pas [accomplir] durant la veille ». Les cartésiens pensent que nous, les hommes, ne sommes faits que de pensées. Or, ils assimilent le fait de penser à avoir conscience de soi : si nous ne pensons plus, nous mourons. Spinoza renversera la situation en répondant que si « le corps est inerte » alors nous sommes aussi « incapables de penser ». Ce qui montre bien que nous ne connaissons rien de nous-mêmes aussi bien conscients qu’inconscients de nous-mêmes. Lorsque nous sommes conscients de nous, tout ce que nous pouvons savoir de nous-mêmes correspond à ce que nous éprouvons à cet instant précis. Lorsque nous sommes en train de dormir, je ressens peut-être des choses mais j’oublie à mon réveil : « je n’ai pas toujours le sentiment que j’existe », écrit Maine de Biran. Dans nos rêves, quand nous venons d’apprendre quelque chose de très triste, il peut nous arriver de n’avoir plus conscience de rien : tout ce que nous pouvons savoir, c’est ce que nous venons de connaître quelque chose de triste ou que nous voyons telle ou telle chose dans nos rêves. Mais cela ne signifie pas que nous sommes en train de penser. Car tous les animaux auraient été des êtres pensants pour Descartes, lui qui pensait qu’ils n’étaient capables de penser que ce qu’ils ressentaient : « la colère », « les passions », « la tristesse ». Comme le dit Maine de Biran, « je ne pense pas toujours ». Avons-nous besoin de penser ou d’avoir conscience de soi pour avoir connaissance de soi ? Le fait de penser au sens cartésien revient à avoir conscience de soi mais jusqu’à ce que nous devenions sociaux, nous n’en n’avions aucune utilité. C’est le fait de chercher à vivre en groupe qui nous a amené à vouloir autre chose que ce que nous désirions auparavant. Dans ce sens-là, la conscience de soi ne peut être considérée comme une connaissance de soi : ce que nous connaissons de nous provient de la socialisation. De plus, cela ne montre rien de ce que nous pouvons en tant qu’individu. Nietzsche nous dit : « l’homme […] pense sans cesse mais il ne le sait pas ; la pensée qui devient consciente n’est que la […] partie […] la plus superficielle ». Autrement dit, l’homme ne sait pas qu’il est conscient et lorsqu’il le sait, tout devient « plat, mince, relativement bête » car il va se mettre à se comporter différemment afin de répondre aux critères imposés : ce n’est plus lui-même, c’est un autre lui-même. Donc, il n’a pas connaissance de lui comme individu non conscient de lui-même. Conscience de soi signifie ici connaissance d’autre chose que moi. Selon notre état instantané, nous ne connaissons donc de nous-mêmes que ce que cet état nous permet de connaître : lorsque nous sommes conscients, nous jouons un rôle, au contraire quand nous ne sommes pas conscient de nous-mêmes.

Cette idée de conscience d’un groupe et de connaissance de ce groupe se retrouve chez un auteur du 19ème siècle : Karl Marx. Selon lui, la conscience est le phénomène qui est dû au groupe social. Sans ce dernier, la conscience serait un degré très faible car la « conscience grégaire s’élabore avec » les désirs, les besoins « de la population ». La population ne désigne pas une personne mais un ensemble d’individualités qui ont chacune conscience d’elle-mêmes et qui élabore une conscience de groupe. Le fait d’avoir conscience de soi, de savoir que nous existons résulte donc d’une certaine sociabilisation des hommes entre eux et celle-ci ne peut être considérée comme une connaissance de soi mais bien comme la connaissance de la conscience du groupe auquel nous appartenons. Ainsi, dans un ouvrage « marxisme et sciences humaines », le sociologue Lucien Goldmann reprend l’idée de conscience grégaire de Marx en l’illustrant et en ajoutant des précisions : certaines personnes souhaitent changer de groupe social mais pour cela, il doit « adopter les valeurs de ce dernier ». Cela montre bien que l’individu doit se soumettre à la conscience d’un groupe qui est différente de sa propre conscience. Par conséquent, il doit s’adapter afin de « monter dans l’échelle sociale » : ses décisions seront autres que celles prises auparavant car il emprunte celle de son nouveau groupe social : il n’est pas libre et il a beau avoir conscience de lui-même, la connaissance qu’il a de lui-même est celle d’un groupe et non la sienne propre.

Le groupe, voilà ce qui constitue la conscience. La communication de chaque conscience créer une conscience de groupe. Nous avons beau avoir conscience de nous-même, ce qui nous constitue avant tout c’est la conscience de l’ensemble des consciences de soi : « je participe à l’unité de notre vie, qui est une vie de communication », écrit Edmund Husserl. La conscience de soi devient, par la communication, conscience de soi à partir de la conscience grégaire. Évidemment que l’individu à son rôle à jouer dans cette conscience de groupe, sinon cette derrière n’existerait pas : « les acquis de leur vie sont toujours déjà parvenus à la mienne et inversement ».

Cependant, quelques auteurs disent que la conscience de soi équivaut en effet à la connaissance de soi. Le doute de Descartes provient de nous-mêmes, la conscience s’exprime en nous-mêmes : « je pense donc je suis ». Le pronom personnel « je » montre bien qu’il s’agit de nous-mêmes, que la connaissance est tout entièrement comprise dans le « je » : la connaissance, c’est « je ». De plus, nous pouvons faire abstraction des autres, mais pas de nous-mêmes : on peut tout remettre en cause, sauf le fait que nous pensons et doutons: « pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose ». La conscience de soi n’exprime donc pas la connaissance d’un groupe ou d’une masse.

La connaissance de soi provient de la conscience de soi. En quoi peut-on parler de connaissance de soi ? En tant que quand nous avons conscience de nous-mêmes, conscience qui varie, nous sommes nous-mêmes modifiés. Nous avons connaissance de nous-mêmes aussi bien qu’auparavant mais ce qui est connu devient différent : « lorsque le tonus d’énergie baisse, la conscience se replie de plus en plus sur le milieu intérieur ». Baruk montre ici que conscience de soi et connaissance de soi vont de pair. Ici Baruk met en avant le fait que nous avons connaissance de notre conscience lorsque nous sommes conscients de nous-mêmes.

Enfin, la souffrance, la douleur, toutes ces sensations ne peuvent concerner que le moi, puisque je suis le seul à éprouver ce que je sens : « quand je dis « je souffre », c’est toujours un acte que j’ai accompli ». Selon Lavelle, lorsque nous souffrons, nous prenons conscience de nous-mêmes en tant que souffrance : « la souffrance, j’en prends possession », « je le sais il a fait mienne ». Ainsi conscience de soi peut-être, selon le point de vue, une connaissance de soi ou une connaissance d’un groupe et nous ne connaissons de nous-mêmes que ce que notre état nous permet de connaître.

Par Gabrielle, 14 ans, classe de Troisième

La conscience comme on la conçoit aujourd’hui peut se définir comme la connaissance qu’à l’homme de ses pensées, de ses sentiments et de ses actes. Cette conscience est toujours conscience de soi puisqu’elle renvoie à elle-même. Quant à la connaissance, c’est une activité par laquelle l’homme prend acte des données de l’expérience et cherche à les comprendre ou à les expliquer. Le mot « connaissance » vient du latin « cognito » qui signifie « action d’apprendre ». La connaissance de soi est une activité qui nous pousse à nous connaître davantage. Mais la conscience de soi peut-elle être considérée comme une connaissance de soi ?

Pour répondre à cette question, il faudrait d’abord connaître le temps, la durée où nous nous trouvons conscients, et surtout savoir ce qu’est « soi ». Ce dernier est un pronom personnel réfléchi de la troisième personne qui désigne chez certains philosophes la personne ou la conscience de soi. Nous pouvons également parler d’« ego », de « moi » ou encore de « je ». Ainsi, nous débuteront sur la conscience de soi qui peut être considérée comme une connaissance de soi par le fait même que nous existons. Puis, en développant la définition de conscience, nous en viendrons à dire qu’elle est connaissance seulement pendant une certaine durée. Enfin, nous considérerons cette derrière comme une activité théorique et nous pourrons conclure que l’on connaît la conscience en tant que l’on se sent et s’éprouve.

Partie 1. La conscience de soi peut-être considérée comme une connaissance de soi par le fait même que nous existons

Dans l’Antiquité, les grecs n’avaient pas de mot qui désigne la conscience. Non pas parce qu’ils n’étaient pas conscients de leurs actes et du monde qui les entourait, mais parce que cette conscience des choses découlait de leur existence effective et de leur expérience. Les hommes et les femmes grecs pensaient donc qu’exister était premier par rapport à la réflexion sur leur conscience d’exister.

Ainsi, Saint-Augustin affirme dans le livre X de « La Trinité » que la conscience est existentielle. Le fait de vivre est plus important que le fait de savoir que l’on vit. Douter est plus important que de savoir que l’on doute. C’est pour cela que nous ne devons pas douter que nous vivons, car sans vivre, nous ne pourrions plus douter. La vie tournée vers l’extérieur, ce qui nous entoure et ce qui nous arrive est premier : « voilà des choses dont il ne doit pas douter; car, sans elles, il ne pourrait douter de rien », explique Saint-Augustin. Une personne faisant un cauchemar et se réveillant en sursaut doit-elle s’imposer une réflexion sur sa conscience de sentir telle sensation ou telle émotion ? D’après Saint-Augustin, nous pourrions dire que non. Cette personne n’a pas besoin de se questionner pour comprendre ce qu’elle a senti. Elle a vécu ce qu’elle a senti. En effet, lorsque Saint-Augustin dit que « toutes les âmes se connaissent elles-mêmes et avec certitude », il est en train de nous révéler que nous n’avons pas besoin de réfléchir à nous-mêmes pour savoir que nous avons une âme. Notre vie, notre existence le prouve déjà.

En considérant la conscience de soi comme une connaissance dont il ne faudrait pas douter, Hume nous indique dans le « Traité de la nature humaine », « qu’il n’est rien dont nous puissions être certains si nous doutons de cela ». Il évoque la conscience de soi, en tant que connaissance de soi, qui ne peut être présentée comme un moi pur. Elle ne peut être dissociée de ses perceptions car, si nous supprimons ces dernières pendant un certain temps, que nous ne sentons plus rien, nous pourrions dire alors que nous sommes sans conscience, et donc inexistants. Notre conscience est donc modifiée à chaque instant de notre existence par nos sensations et nos passions car notre « moi » est rattaché à des « idées », des « impressions » variables.

Mais la conscience ne saurait exister si elle ne se souvenait pas de ces précédentes impressions, des anciens actes du corps. Bergson, dans « La Conscience et La Vie », affirme que « conscience signifie d’abord mémoire ». Elle conserve son passé, vit le présent et anticipe l’avenir. Notre conscience nous amène à avoir une expérience immédiate d’elle-même. Nous la vivons pendant qu’elle enregistre nos actions et ce que produit le monde extérieur.

Si la conscience oubliait tout son passé, et se contentait du présent, elle ne pourrait durer. Si elle ne conservait rien de son passé, « elle périrait et renaîtrait à chaque instant ». Bergson, dans le recueil intitulé « L’énergie spirituelle » s’appuie, par exemple, sur le quotidien de chacun. Si une personne raconte une histoire et commence le mot « causerie » mais que sa conscience n’est que présent, elle ne pourrait finir d’exprimer la dernière syllabe « rie » puisqu’elle aurait oublié le début du mot. Nous donnons à chaque mot un sens qui varie en fonction de la phrase entière, d’un dialogue entier. On se connaît donc grâce à notre conscience de soi qui accumule un ensemble de faits passés, durant le présent, et dans le futur.

Partie 2. La conscience de soi peut-être considérée comme une connaissance de soi seulement pendant un instant précis

Dans toutes les sociétés qui ont existé et qui existent aujourd’hui, la conscience individuelle de chacun ne saurait se mouvoir seule. Elle a toujours été influencée par une conscience grégaire, c’est-à-dire de groupe. Nos actes sont influencés par les actes des autres. Ce que nous pensons est le produit de la société.

C’est ainsi que Karl Marx affirme, dans « L’Idéologie allemande », que « la production des idées, des représentations et de la conscience est d’abord […] mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes ». Notre conscience est éduquée par la société et se conduit donc différemment dans différentes sociétés où les manières de vivre divergent. La connaissance de soi serait plus en rapport avec la société dans laquelle on s’insère que notre conscience de soi.

Mais cette dernière réagit différemment en fonction de chaque individu, elle est « intimement mêlées ». Nous pouvons donc la considérer comme une connaissance pendant une durée précise où la société n’est pas à prendre en compte. Karl Marx dit donc que cette conscience est sociale mais qu’elle peut être affranchie par elle-même grâce à « la division du travail matériel » et « la division du travail spirituel ». À partir de ce moment, la conscience n’est plus influencée par le monde, elle s’auto-influence et peut donc être une réelle connaissance de soi.

Cette connaissance de soi peut-être réalisée grâce à l’expérimentation de soi. Nous devons expérimenter pour savoir ce qui nous convient et ce qui nous disconvient. C’est seulement après cela que nous pouvons organiser les bonnes rencontres, celles qui augmentent notre puissance d’agir, celles qui nous se composent [adéquatement] avec d’autres rapports.

Donc selon « L’Éthique » de Spinoza qui a été publiée après sa mort, notre conscience de soi peut-être considérée comme une connaissance de soi pendant une certaine durée pendant laquelle nous avons déjà expérimenté [telle chose] et où nous nous savons ce qui nous convient ou nous disconvient. Nous ne pouvons donc pas nous connaître entièrement, « personne encore n’a connu assez profondément l’économie du corps humain pour être en état d’en expliquer toutes les fonctions », explique Spinoza. En effet, les personnes somnambules réalisent des actes pendant qu’elles sont inconscientes. La conscience est endormie, on ne peut donc pas la connaître à cet instant.

Quand notre corps s’endort, notre conscience en fait le même car pour Spinoza, l’âme, c’est-à-dire la conscience, et le corps sont deux choses identiques. L’un ne va pas sans l’autre. Si notre âme « n’était pas disposée à penser, le corps resterait dans l’inertie ». Mais la conscience est également le lieu d’une illusion. Elle recueille les effets et en oublie les causes. Par exemple, [quand] nous sentons le soleil sur notre peau, la conscience va dire que le soleil est fait pour nous chauffer.

Cette illusion est également présente chez Friedrich Nietzsche. Dans le « Gai Savoir », il affirme que « la pensée qui devient consciente n’est que la plus petite partie ». C’est celle qui est traduite par la parole, les actes, les signes de communication. Cette infime partie est la plus mauvaise de tout car c’est celle que nous expérimentons. Nous l’expérimentons dans la société et elle se développe avec le monde. Elle conduit des informations et réagit à l’influence du monde. Elle est « un organe conducteur » qui fonctionne avec le corps. Nous pouvons dire que nous ne sommes pas conscients une grande partie du temps, et quand nous sommes conscients, nous ne sommes pas conscients de tout mais seulement d’une petite partie de nous-mêmes.

Nietzsche dit que la plus grande partie du temps où nous sentons, pensons, agissons, nous n’en sommes pas conscients. Il dit que nous pensons sans cesse mais que nous ne le savons pas. Autrement dit, nous ne savons pas que nous sommes conscients mais quand nous le savons notre pensée devient « superficielle », « mauvaise ». Nous devenons comme bêtes pour pouvoir être selon les critères du monde, de la société

On peut donc considérer la conscience de soi comme une connaissance de soi pendant la plus petite partie du temps, celle où nous pourrons la connaître indépendamment.

Partie 3. Une conscience que l’on connaît en tant que l’on se sent et s’éprouve

Seulement, qu’est-ce que la connaissance et jusqu’où pouvons-nous nous connaître ? Nous pouvons dire que la connaissance est une activité théorique, nullement pratique, qui permet cependant une action efficace. Cette connaissance est présentée d’abord en tant qu’elle est naturellement en notre esprit, sans apprentissage. Elle constitue les idées les plus évidentes de notre esprit. Cette innéisme cartésien est complété par la connaissance de ce que l’on sent et éprouve. Nous nous connaissons pendant que nous sommes conscients. À partir du moment où nous ne sommes plus conscients, nous ne pouvons pas nous connaître.

C’est pourquoi Descartes explique que nous pouvons douter de tout ce qui nous entoure : objet, personne, vouloir… Je peux par exemple douter de mes choix et de mes actes, mais je ne peux pas douter de ma puissance de faire un choix. Ce qui est certain, ce n’est pas l’objet de la sensation mais ce que tu sens et éprouves en tant que toi. Si quelqu’un fait un rêve qui vire au cauchemar et se réveille en sursaut parce qu’il a eu terriblement peur, il peut douter du rêve, il peut douter d’avoir vécu ce rêve, mais pas de ce qu’il a senti à ce moment.

Ainsi, dans les « Méditations métaphysiques » écrites en 1641, René Descartes essaie de trouver des attributs qu’il dit être en son « moi ». Il cherche parmi les attributs corporels ceux qui occupent un espace, c’est-à-dire qui ont une étendue, qui peuvent être sentis (par le toucher, la vue, l’odorat, le goût…), qui peuvent être mus, non par eux-mêmes, mais par quelque chose qui vient de l’extérieur. Or, il ne voit aucun de ses attributs qu’il trouve être en son « moi ».

Il passe donc aux attributs de l’âme, comme tout d’abord se nourrir ou marcher. Mais sans corps, on ne peut pas marcher ou se nourrir. L’âme décide que le corps marche ou que le corps se nourrisse. Ensuite, sentir. On ne peut sentir sans le corps. Descartes nous dit qu’il a déjà senti quelque chose pendant son sommeil. Et lorsqu’il s’est réveillé, il a bien reconnu qu’il n’avait en réalité pas pu sentir. Ce dernier n’appartient donc pas qu’à l’âme. Mais selon lui, penser est un attribut qui appartient à son « moi ». Penser est un attribut qui n’appartient qu’à l’âme. Le corps n’intervient pas. Nous pouvons ainsi nous connaître seulement grâce à cette pensée puisqu’elle a la conscience de son « moi ». Descartes rédige donc ce « je suis, donc j’existe » où un rapport précède l’autre, puis son « je suis, j’existe » où les deux rapports se déroulent en même temps. Quand tu penses, tu existes. En l’âme réside le « moi ». Quand je pense, j’existe. Quand je pense, c’est que je suis.

Nous pouvons dire que la conscience de soi est une réelle connaissance de soi car nous nous sentons et nous nous éprouvons à chaque instant où nous sommes conscients. On ne se connaît pas par nos actes, mais par notre puissance d’agir.

Suis-je ce que j’ai conscience d’être ?

Par Gabrielle, 14 ans, classe de Troisième

Pendant la Seconde guerre mondiale, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont été déportés, pour des raisons ethniques, dans des camps de concentration. Ils avaient conscience d’être des humains en se sentant et s’éprouvant. Pourtant, à l’extérieur, les soldats les considéraient comme des « animaux » inférieurs, des « bêtes ». Eux, se considéraient comme une race supérieure. Les déportés ainsi que les nazis étaient-ils ce qu’ils avaient conscience d’être ?

La conscience, comme on la conçoit aujourd’hui, peut se définir comme la connaissance qu’a l’homme de ses pensées, de ses sentiments et de ses actes. Elle a le pouvoir d’installer dans les conditions de la présence. Quant à « être », c’est un auxiliaire venant du latin « esse » qui désigne l’identité de quelqu’un ou de quelque chose.

Dans un premier temps, nous venons que nous sommes ce que nous avons conscience d’être en tant que notre corps se sent et s’éprouve. Mais certains auteurs, comme Spinoza nous indique que la conscience est le lieu d’une illusion et qu’elle en peut, par conséquent, se connaître. Enfin, comment pouvons-nous penser être une chose si nous n’en avons même pas conscience ?

Au XVIIème siècle, la science moderne apparaît en bouleversant la représentation chrétienne du monde. C’est dans ce contexte que Descartes écrit en 1641 les « Méditations Métaphysiques » dans lequel il soumet tout savoir à l’épreuve du doute. Il en retire une unique certitude qui réside dans le « Cogito ergo sum » : « Je pense, donc je suis ». Je suis certain de mon existence car je pense. Ce dernier est précédé du « Je suis, j’existe ». Le doute même produit cette évidence. Si je doute, c’est que je suis car nous pouvons douter de tout ce qu nous entoure, de l’objet de nos choix et de l’objet de nos actes mais nous ne pouvons pas douter de notre puissance de faire un choix. Ce qui est certain, ce n’est pas l’objet de la sensation mais ce que nous sentons et éprouvons, l’être de la sensation. Cette conscience de soi est donc une connaissance car nous nous sentons et nous éprouvons à chaque instant où nous sommes conscients sans distance ni objet. On ne se connaît pas par nos actes, mais par notre puissance d’agir. Donc si cette conscience est une connaissance de nous-mêmes, nous pouvons dire que nous sommes ce que nous avons conscience d’être. Cette conscience nous fait connaître non seulement que nous existons, mais également qui nous, c’est-à-dire « une chose pensante » ou une « âme » séparée du corps.

Dans la « Phénoménologie de la perception » rédigée en 1945 par Merleau-Ponty, ce dernier affirme que nous existons en tant que conscience, et que nous pouvons connaître le corps humain seulement en existant : « Qu’il s’agisse du corps d’autrui ou de mon propre corps, je n’ai pas d’autre moyen de connaître le corps humain que de le vivre […] ». Il nous faut expérimenter. La conscience se meut pendant un temps et dans un lieu précis et déterminé par le corps auquel elle est liée. La conscience et le corps en font plus qu’un. Le corps est donc également le lieu de la conscience. Ainsi, nous sommes ce que nous avons conscience d’être car notre conscience se reflète dans notre corps.

C’est en considérant la conscience de soi comme une connaissance dont nous ne devons pas douter, que Hume nous indique dans le « Traité de la Nature humaine », « qu’il n’est rien dont nous puissions être certains si nous supprimons ces dernières pendant un certain temps, que nous ne sentons plus rien, nous pouvons dire que nous sommes sans conscience, et donc inexistants. La conscience a un rôle essentiel dans ce « moi » qu’elle constitue. Nous pouvons donc dire que nous sommes ce que nous avons conscience d’être.

Mais cette conscience, cette part essentielle séparée du corps ne pourrait-elle pas être le lieu d’une illusion ? Spinoza explique qu’il existe un monde auquel la conscience n’a pas accès. Elle recueille les effets d’une rapport dans lequel deux corps se rencontrent, et prend cet effet pour la cause, c’est-à-dire la constitution du corps qui l’a affectée. Lorsque notre corps décompose nos rapports, nous éprouvons de la tristesse. Notre conscience en recueille que ce qui arrive à notre corps. Connaître seulement les effets nous amène à avoir des idées inadéquates. Notre conscience ne peut donc pas connaître notre constitution. Elle joue un rôle qui ne nous permet pas de savoir qui nous sommes.

Nietzsche affirme dans les « Fragments Posthumes » que la conscience est seulement un « moyen de communication » qui a été développé par notre relation avec le besoin de communiquer. Cette conscience fait également parti du « Moi ». Nos actes, nos pensée et nos sentiments sont individuels mais quand ces derniers parviennent à notre conscience, ils ne sont plus personnels. Notre conscience est le résultat « d’une rapport de l’utilité communautaire et grégaire ». Ce que j’ai conscience d’être ne peut donc pas définir ce que je suis.

Dans « l’essai sur les fondements de la psychologie », Maine de Biran constate que lorsque nous dormons d’un sommeil complet, nous ne pensons pas ou nous n’avons pas le sentiment d’exister. Il dit alors que notre « moi » n’est pas fondé qu’avec notre conscience. Ainsi, nous ne pouvons être ce que nous avons conscience d’être car cela n’en est que la plus petite partie : »moi n’est pas une chose pensante dont l’essence soit uniquement et exclusivement la pensée »

Mais comment pouvons-nous avoir conscience d’être quelque chose si nous ne pouvons observer ce que nous avons conscience d’être ? En effet, selon Comte, « l’esprit humain peut observer directement tous les phénomènes, excepté les siens propres ». La conscience ne peut, en même temps, agir et se regarder agir. Si elle pouvait, c’est qu’elle se serait divisée en deux parties, une qui pense et raisonne et une autre qui l’observe et penser et raisonner. Mais même à ce niveau on trouve une incohérence : comment celle qui regarde l’autre penser pourrait-elle l’observer si elle ne pensait pas à son tour. Ainsi, nous pouvons réfuter l’idée que nous sommes ce que nous avons conscience d’être car cette conscience ne peut pas être plusieurs choses à la fois : « l’organe observé et l’organe observateur étant, dans ce cas, identiques, comment l’observation pourrait-elle avoir lieu ? »

Dans son recueil d’essais nommé « Science et Religion », Russell écrit en 1935 que la différence entre une pierre et un homme est que ce denier a conscience de réactions, tandis que la pierre « ne sait pas qu’elle réagit ». Si dans la rue quelqu’un se met à chanter, d’autres personnes vont se retourner, mais pas les pierres. Russell nous indique que c’est seulement une réaction à une excitation et que « les pierres en font autant, bien que les excitations auxquelles elles réagissent soient moins nombreuses. C’est une différence de degré. La pierre est stimulée par l’environnement. Si je prends cette dernière dans la main et que je la lance contre le sol, il se peut qu’il y ait un choc qui la casse. Elle aura réagi au monde extérieur. Elle reste une pierre même si elle n’a pas conscience de l’être.

Je peux dire que je ne suis pas ce que j’ai conscience d’être car il faudrait d’abord avoir conscience d’être quelque chose que nous pouvons observer.

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