Un secret à te dire

« Un secret à te dire » est mon premier roman de littérature de jeunesse.

Il est disponible au CDI du collège Henri Sellier, à la médiathèque Le Phénix de Colombelles ainsi qu’à la bibliothèque de Saint-Contest.

Il est publié sur Thebookedition.com

gaelle proposition 2

Illustration : Mamzelle Crevette

Extrait

J’ai mal dormi, avec un seul œil et une seule oreille, et je me suis mal réveillé. C’est peut-être à cause des vacances de Noël, ce soir. Ou à cause des confettis.
Je descends l’escalier sur la pointe des pieds. Dans la cuisine, je soulève le couvercle de la poubelle. Le mot de papa est là, au milieu des épluchures de pommes de terre et des nouilles d’hier soir.
–  A quoi tu penses Raphaël ?
Je n’ai pas entendu maman arriver. Elle pose sur la table les bols, les serviettes à carreaux et le chocolat en poudre, sans me regarder.
–  …
–  A quoi tu penses quand tu es comme ça ?
–  Comment « comme ça » ?
Gabi s’installe devant son bol en baillant. Elle commence à manger ses céréales une par une avec ses doigts, les yeux fixés sur le paquet de choco pops.
–  Et bien quand tu mets un quart d’heure pour t’habiller, quand tu passes une demi-heure dans les toilettes, quand il te faut juste une matinée pour ranger tes Lego… tu vois ? Quand tu es dans la lune.
J’avais oublié !
Et c’est justement maintenant que maman veut en parler, à l’heure où je suis déjà en retard de vingt minutes sur tout le monde, vu que je suis encore en pyjama et que trouver mes chaussettes va me mettre dans la galère, comme chaque matin. Je dois être le seul sur terre à avoir des chaussettes qui voyagent la nuit.
–  Alors ?
Pour l’instant, pas de retard, pas de problème. Tout le monde est là. Mais ça va vite en devenir un, quand je serai encore le nez dans mon bol de chocolat et que je verrai un courant d’air entrer dans la cuisine avec manteau boutonné, écharpe nouée et cartable à la main.
–  Allez les enfants, en voiture ! On part.

–  Alors ? Tu réponds oui ou non ?
–  Je sais pas, moi !
Je prends sur moi. J’essaie de parler gentiment sans lever les yeux au ciel parce que maman n’aime pas du tout ça. Les yeux de Gabrielle se mettent à clignoter tout seuls :
–  Maman, peut-être qu’il pense à ses chevaliers ? Aux dinosaures qui sont morts ? A Cookies qui est dans la terre ? … Si ça se trouve, tu penses à rien ?
–  N’importe quoi ! Bien sûr que si, je pense à quelque chose. Je veux pas grandir, voilà à quoi je pense si vous voulez tout savoir.

Rien qu’à sa tête, je vois tout de suite le choc que ça fait sur maman. Dès qu’elle ne comprend pas, elle panique.
–  Pourquoi tu ne veux pas grandir ? Qu’est-ce que c’est cette histoire ?
Pas besoin de réfléchir, j’ai la réponse depuis longtemps.
–  Ça fait peur, de grandir. Je sais pas comment ce sera quand je serai grand. Pour l’instant, je suis le plus fort. Mais après ? Et puis quand on est grand, on est vieux et moi, je ne veux pas vieillir, je ne veux pas mourir.
Alors là, ça lui coupe le souffle. Maman prend un grand bol d’air, elle pose sa tartine face beurrée sur la table et elle me regarde droit dans les yeux.
–  Ecoute Raphaël. La mort n’a rien à voir avec la vieillesse. Jeune ou vieux, tu es vivant ou tu es mort. C’est l’un ou l’autre. Tant que tu respires, tu n’as pas fini de vivre et tu ne sais rien de la mort. La seule chose que tu peux faire, c’est y penser.
Là, elle pose sa main sur la mienne.
–  Alors respire un grand coup mon garçon, et regarde la vie que tu as en toi, droit dans les yeux. C’est comme ça que tu vas grandir, sans même t’en apercevoir. Tous les rêves que tu as, s’ils t’aident à aimer ta vie, celle-là, celle d’aujourd’hui, garde-les précieusement.
Elle s’arrête là maman, parce qu’elle a les yeux qui brillent de trop. Elle a l’air vieille tout d’un coup. Et en même temps petite, toute petite, si petite.
Elle se lève et elle nous embrasse tous les deux dans les cheveux. Je ne sais pas où elle va chercher tout ça, ses mots et ses bisous.
–  Toi maman, tu as de la vie à l’intérieur de toi ?

Je n’ai pas entendu la réponse. Parce qu’il n’y en pas eu.
En ce moment, je vois bien qu’elle traverse le désert, maman, et qu’elle ne croise rien ni personne. Même pas un petit rêve de rien du tout.

Alors ça m’a pris comme ça, tout d’un coup.
Je me suis dit que j’allais m’en occuper dare-dare, que j’allais lui raconter une belle histoire, genre conte de fée à l’eau de rose et nougat glacé, avec une jolie princesse et un prince charmant juste comme il faut. Après, je mettrai plein de perturbations et de bâtons dans les roues pour qu’elle ait envie d’aller jusqu’au bout avec moi. Il faudra au moins un cheval ou un chien parce que les filles, elles adorent ça. Pour la fin, je ne sais pas du tout ce que j’inventerai. Ça dépendra si je veux qu’elle pleure ou pas. En tous cas, j’ai décidé que je ferai tout, tout seul. C’est moi qui écrirai et c’est moi qui raconterai.
Moi, le petit blond aux cheveux bouclés, au premier plan devant la vitrine des Grandes Galeries, entre mon père et ma mère, avec ma sœur.

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