Oscar

Il a baissé les yeux, appuyé son front sur son avant-bras posé sur sa copie et il n’a plus bougé. Un silence est tombé sur la classe, le silence immobile des enfants devant le chagrin d’un des leurs, devant la pudeur qui vient mourir au pied du maître.

Je l’ai regardé, surprise que notre jeu grammatical – les symbole des classes grammaticales à dessiner sous chaque mot – ait entraîné tant de tristesse parmi tant d’enthousiasme, et comme son corps restait figé, recroquevillé sur lui-même, j’ai compris qu’Oscar pleurait vraiment.

 Je me retenais de respirer pour devenir transparent mais à la fin, c’était difficile, à cause de la ventoline que j’ai dans ma poche. Mais j’ai continué quand même, je fais de l’athlétisme, je cours longtemps. Mon frère, lui, est dysphasique, ça fait qu’il a des problèmes de cerveau et il se fatigue plus que moi. J’ai le même prénom que lui sauf que moi, c’est mon deuxième prénom.

Je suis Oscar.

J’ai des lunettes et 11 ans. Je me brosse les dents avec de l’argile à la menthe et je sais faire l’otarie.

 Tous les enfants sans exception me regardaient, dans l’attente de ma réaction. C’est important, les larmes d’un enfant. Ça déshabille les adultes, ça fend leur carapace, il n’y a plus ni professeur ni élève, ni savant ni ignorant, ni prince ni sujet, il y a deux cœurs nus qui se partagent le même silence.

Je me suis approchée d’Oscar, j’ai posé devant lui ma boîte à mouchoirs parfumés à la vanille et j’ai serré ses épaules entre mes mains.

 Je me suis mouché, deux fois. C’est Rudy qui a commencé à parler parce qu’il a vu que je ne pouvais pas (Rudy, il habite dans une caravane). Il a dit que je pleurais parce que j’avais peur de me faire disputer.

L’année dernière, la maîtresse de CM2 criait très fort à chaque fois qu’on ne comprenait pas et moi je pleurais à tous les coups. Sidjy a fait oui avec sa tête (Sidjy habite aussi dans une caravane sauf qu’elle ne voyage plus) et elle a dit que c’était vrai.

 Les enfants approuvaient et ça leur faisaient du bien d’être d’accord. On se sent moins seul quand on vit la même chose que les autres et qu’on a le droit de le dire. Alors je n’’ai eu qu’à laisser faire, à laisser venir, et alors tous les chagrins d’école ont dévalé les pentes sauvages de l’enfance, les yeux coincés dans l’angle du mur, les mots qui transpercent le cœur comme une flèche, les mêmes lignes à recopier trente fois sans fautes, les pieds joints à la cantine pour regarder les autres passer et manger en dernier, les récréations assis sur la chaise, j’ai vu défiler en rangs serrés des secondes, des minutes, des heures de jeunes vies en friche déchirées en petits morceaux et jetées dans la poubelle de la classe.

Le lendemain, j’ai dit à Oscar que son chagrin m’avait peiné. C’est pas grave, il m’a dit. J’ai répondu que si, c’est important, les larmes d’un enfant. Il m’a regardée et il n’a rien répondu.

Parfois, j’imagine ma vie quand je serai grand. Je travaillerai dans un zoo et je m’occuperai des animaux aquatiques. J’aurai une maison dans un petit village et un poussin comme animal de compagnie. Je mangerai les légumes de mon potager, j’aurai des patates, des carottes, un pommier, un framboisier, un fraisier.

Tous les ans, j’irai en Bretagne avec mes copains et on fera du vélo.

Je suis Oscar.  

2 réflexions sur “Oscar

Laisser un commentaire