Lire et écrire en prison

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J’anime un atelier d’écriture à la maison d’arrêt de Caen, dans le quartier des hommes, des détenus majeurs en détention provisoire ou condamnés. Courtes peines, Assises, comparutions immédiates, appels, un an, dix ans, vingt ans.

Ils disent venir en cours pour sortir de leur cellule et pour obtenir des remises de peine. J’apprends plus tard, au détour de la conversation, qu’ils écrivent beaucoup, tous les jours, tout le temps, au directeur, au juge, à leur femme, à personne, à eux-mêmes. Ils racontent parfois leur vie entière, caché derrière un personnage qui ne porte pas leur nom, ils écrivent parfois une lettre par jour, signée, à celle qui est dehors et qui attend. Et il y a ceux qui essaient tous les matins, toutes les nuits, en vain.

Ici plus qu’ailleurs, la parole et l’écrit sont la matière première de mon travail, la confiance, mon outil. Ici, c’est la loi de l’arbitraire, il n’y a pas d’explication, c’est comme ça. Pourtant, tout a un sens. La poignée de main, le remerciement, le regard, le sourire. La présence et l’absence. Les mots, le silence. Venir en cours signifie tout autant que ne pas y venir. Vouloir parler signifie tout autant que vouloir se taire. Ici la concentration est fugace, les idées sont obsessionnelles et les émotions à fleur. Il me faut composer avec les aléas de la vie enfermée tout en faisant lire des textes qui parlent du monde et des hommes. C’est un travail d’orfèvre, minutieux et lent.

Même épuisés par la promiscuité, les brimades, le froid et les nuits sans sommeil, ils veulent se regarder et entendre des voix. La leur, et celle de l’Autre. Parler d’avant, se raconter, sortir de soi, échanger, penser, c’est résister au temps et faire face à la violence vécue chaque jour, chaque heure de leur vie enfermée.

Alors je lis, je leur fais entendre les mots des auteurs qu’ils emmèneront dans leur cellule et on discute. Puis on écrit chacun, un premier texte. A propos d’une feuille morte de mon jardin, qu’ils emporteront pour son odeur, d’un texte, Olivier Adam, Carole Martinez, Paul Eluard, Eugène Guillevic, François Place, un titre, une phrase, une photographie, une couleur… Je lis à haute voix les mots de chacun, y compris les miens. On échange nos impressions, on dit ce qu’on a entendu, ce qu’on a vu, ce à quoi on a pensé. Avant la réécriture, je propose des outils techniques pour changer le point de vue, jouer sur le rythme, complexifier la structure narrative, créer des images, mettre en forme et s’approcher d’une vérité, la leur, à ce moment. Nous lisons à nouveau des pages de récit, des poèmes, nous regardons des tableaux, des sculptures. Ils parlent, je note. La séance suivante, je donne le tapuscrit de l’ensemble des textes redits, retravaillés, remis en forme. On commente la force des choix d’écriture.

Chaque semaine, ils reviennent. Font impasse sur la promenade et la clope.

Dans cette classe enterrée derrière des barreaux, mon métier d’enseignante consiste à donner à ces hommes des outils pour se rapprocher le plus possible d’eux-mêmes. Au-delà, en acceptant de s’ouvrir à moi et aux univers que j’apporte de dehors, ils m’ouvrent une fenêtre sur leur vie, sur eux et sur moi-même.

Merci à Fabien, Medhi, Adrien, Mohamed, Jacques, Gilles, Sofiane, Smaïn, Xavier, Frédérik, Nicolas, Haladji, Suleyman, Chad, John, Yves, Dani, Bachir, Rémi, Sébastien, Gary, Djamel, Kevin, Florian, Christian, Didier, Jean-Baptiste, Farid, Anthony, Kevin, K., Vahid, Daniel, Yagouba, Vincent, Djamel, Patrick, Jean-Pierre, Kevin …

3 réflexions sur “Lire et écrire en prison

  1. Échange d’idées et de réflexion collective sur des ouvrages, écriture, lecture, sont autant d’outils de communication et de moyens d’expressions dans ce milieu fermé appelé prison. L’évasion par le verbe, la reconstruction, l’espoir de vie, sauver nos esprits, aussi sombres soient-ils…
    La liberté d’expression prend ici tout son sens, merci pour eux, merci pour nous, merci à toi de partager ton savoir et de faire découvrir des mondes fabuleux, la littérature donne des ailes, de l’espoir, de la réconciliation avec la vie…
    Toute leur et notre dignité consiste donc en la pensée, merci Gaëlle pour ton travail.

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    • Il se passe ici des miracles d’humanité dont les textes portent en eux la trace. Mon métier consiste ici à poser la douceur d’un regard sur ceux à qui il ne reste plus que les murmures et les cris. Merci Olivier pour ton message qui me touche.

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  2. Après avoir passé le temps qu’il fallait pour les lire, je pourrai dire que les textes de ces hommes me touchent. Particulièrement ceux de Suleyman. Pourquoi, je ne saurai pas te le dire. Son écriture me touche. Peut-être aussi parce que ce que je vis, cet isolement par la maladie, mon état de reconstruction, cette fenêtre qui m’a fait voyager entre ciel et mer, mais parfois aussi inexistante ou donnant sur les fenêtre de l’hôpital d’en face, a fait de moi une femme plus solitaire, reflet de moi-même sur celle que j’ai été et celle que je deviens. Il y a dans l’écriture de ces hommes une grande force, non pas l’épuisement d’une veillée interne qui ne demanderait qu’à comprendre le sort de chacun, mais un état d’ouverture et même d’éveil. La fenêtre s’ouvre.
    Merci pour vos mots, pour vos images. Je ne suis plus seule.

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